Mercredi : coup de fil impromptu de Laurent, copain d'enfance de mon frère que je n'ai pas vu depuis des décennies.
Ce passionné de cuisine a monté sa petite entreprise de traiteur qui ne connaît pas la crise.
Il lui manquait du personnel pour assurer le cocktail d'une soirée d'entreprise.
Si ça m'intéresse ? Heu... Je manie mieux l'encre et la plume que les coupes de champagne mais pourquoi pas.
Je suis curieuse, j'aime les nouvelles expériences, aller à la rencontre des gens et puis surtout, j'ai besoin d'argent !!!
Ces derniers temps, les offres d'emploi se font fantômes et mes CV prennent la poussière.
C'est l'encéphalogramme plat.
Tout le monde me dit que les choses vont se décanter. Comme le vin.
J'espère que mon vin se transformera vite en bon cru et ne tournera pas au vinaigre.
Grand Chef Laurent me rassure : "tu verras, faire le service, c'est pas bien méchant".
Sa consigne : être tout de noir vêtue.
Ok.
J'arrive à 14h30 devant le lieu du rendez-vous, cheveux relevés en un discret chignon, habillée façon Famille Adams, chaussée de Derby aux talons inexistants pour ne pas avoir les pieds enflés comme des Knacki ball, à force de piétiner.
Le cocktail ouvre ses portes à 18h30 pour accueillir plus de 90 convives.
En attendant tout ce beau monde, nous, les petites fourmis du Service, devons décharger le camion rempli de victuailles, de lourdes caisses de verres, de vins et de décorations en tout genre, dresser les tables.
Je me suis mise à la plonge, à l'éponge et au torchon pour astiquer les verres de mille feux avant d'imaginer une pyramide cristalline coulant à flot.
Epatée, j'ai miré Grand Chef ordonner ses oeuvres... Grand Chef excelle dans l'Art culinaire.
Dans ce métier physique qui bousille le dos, la relâche n'existe pas. Grand Chef s'endort souvent lorsque le soleil pointe le bout de ses rayons, pour se réveiller 2 heures plus tard et reprendre les routes de TraiteurMania. Comment fait-il pour tenir ?
La passion, encore la passion, sa femme et ses deux enfants, surtout.
Enfin, les Gens sont arrivés, accueillis par une coupette de champagne et mon sourire aux lèvres.
J'ai pensé : mon dieu, Grand Chef a trop cuisiné, il va y avoir des restes. Que nenni nenni !
A la fin d'un discours totalement inintéressant, c'est parti mon kiki, les Gens se sont rués sur le buffet comme s'ils étaient en temps de guerre et de famine.
Ils ont tout englouti à la vitesse du son. Plus une miette à l'horizon !
Affairée à ce que la nappe blanche reste immaculée au fil de la soirée, à combler les Gens en boissons et nourritures, je me suis rendue compte de plusieurs choses :
- c'est fou comme les Gens sont assoiffés d'alcool, répétant à gogo : "une coupe de champagne, siou plaît".
Je ne sais combien de bouchons de champagne j'ai fait sauter, combien de coupes j'ai rempli.
Ce soir là, le champagne a coulé à flot.
- j'ai été fascinée par tous ces Gens discutant tableaux Excel, objectifs à atteindre.
Je me suis rendue compte à quel point j'étais déconnectée de ce monde du travail qui semble ne plus vouloir de moi depuis quelques temps.
Je vous l'avoue, je les ai enviés. J'ai pensé : "whouaou, quelle chance ils ont d'avoir un travail !. Ce soir, ils sirotent et dégustent, demain ils se réveilleront la tête embrumée, se prendront une bonne douche pour désaoûler et enfileront leur costume avant de reprendre le chemin du travail".
- j'ai parfois eu le sentiment de perdre un peu de mon identité devant l'indifférence de certains convives ; ils ne considèrent plus les "serveurs" comme des personnes qui peuvent être aussi passionnés qu'eux. Ils les réduisent à de simples troncs dotés de bras, devant se tenir prêts à dégainer champagne et petits fours.
Le plus dur fut de tout nettoyer et remballer, heureusement dans la joie et la bonne humeur.
Enfin, les douze coups de minuit sonnèrent la fin du service.
Grand Chef rendit sa toque.
Je déclarais forfait.
Enfin, les douze coups de minuit sonnèrent la fin du service.
Grand Chef rendit sa toque.
Je déclarais forfait.
L'équipe avec laquelle j'ai oeuvré était adorable et passionnée ; souvent, elle cumule deux emplois.
C'est le cas de Lydie qui m'a formée le temps d'une soirée : cuisinière dans une maison d'aides pour personnes handicapées, elle fait des extras pour Grand Chef dès qu'elle a du temps libre. C'est toujours une noix de beurre en plus dans les épinards.
Retour chez moi à minuit trente, complètement lessivée, le dos en compote de rhubarbe et les jambes enkylosées. A côté de ce métier haletant mais dur physiquement, mon métier de journaliste "popotin assis devant l'ordinateur toute la journée" est une douce utopie.
Avant de sombrer, j'ai chouchouté mon petit corps à l'huile de massage à l'Arnica pour éviter de me réveiller Mémé, les jambes raides et le dos courbé.
J'ai remercié le destin de m'avoir nourrie de cette expérience tout en générosité.
Pour ma première prestation, j'ai pris un immense plaisir à endosser le rôle de "Miss Cocktail".
Et demain, qui serai-je ?
1 commentaire:
en fait, c'est très intéresssant de changer son savoir faire en une toute autre expérience. Il faudrait être formé aujourd'hui, vous les jeunes, non pas à un travail, mais à plusieurs. Etre multicarte en quelque sorte, avec une ou deux ou trois langues étrangères en plus, ce que serait le pied. Je le trouve sympa ce copain. A quand l'autre petit extra d'un tout autre ordre,our vous frotter à tous ces gens qui ne vous ont même pas remarquée! allez savoir. En attendant, cette petite opportunité là, permet de comparer les difficultés d'un métier par rapport au vôtre Comtesse. Aussi, ne désespérez pas. Tout arrive à qui sait attendre. Vu votre talent de virtuose conteuse, je ne m'en fais pas pour vous. Vous allez réussir. Incrivez donc toutes ces expériences dans un roman que vous intituleriez: "à la recherche du sens"!.Votre Manouchak.
Enregistrer un commentaire