samedi 22 septembre 2012

Morning man

Tous les matins, sur le chemin du travail, je passe devant le bar-tabac qui fait l'angle, face à l'église posée sur la placette, surplombant l'immense ville.

Tous les matins, en contournant le petit bout de trottoir, je le devine. Je sais qu'il sera assis là, seul client de la terrasse du bar-tabac, courbé, les épaules rentrées, scrutant sa bière d'un regard sans flamme.
Il est 10 heures pétantes, je ne me trompe pas, je l'aperçois. Sa bière à peine entamée, il ne lève jamais le coude. En tout cas, jamais devant moi, simple passante.


Le clocher de l'église entonne 10 h. Je le regarde, vraiment, je voudrais qu'il croise mon regard mais il ne me voit pas. Ses petits yeux éteints, abrités derrière de minuscules lunettes mangées par un visage empâté, demeurent rivés sur sa bière, ses pieds, la table, que sais-je...
Il se tient bancal, comme s'il lui était difficilement supportable de porter sa lourde carcasse sans âge. Comme si toutes les misères de cette terre assiégeaient ses larges épaules.
Je me demande s'il est alcoolique. Je sais, réflexion bête. Il est 10 h et il boit. Une bière. Tous les matins.
Il n'a rien d'un ivrogne ni d'un SDF, mais tout d'un cinquantenaire (peut-être est-il plus jeune ?) en plein marasme.
Je voudrais bien qu'il relève la tête, qu'il croise mon regard, juste pour lui insuffler un peu d'espoir. Il ne voit rien ni personne. Fantômes que nous sommes.
Tous les matins, j'aperçois un homme seul, d'une tristesse infinie qui ne contemple plus la vie en multicolore.

Tous les matins, 10 h, je me dis que je pourrais faire quelques pas, lui dire bonjour d'un mouvement de tête. Je ne le fais pas.
Aller vers lui, aller vers l'autre. Il suffit parfois d'un mot, d'un geste pour raviver la petite flamme à l'intérieur.

Cet homme de 10 heures, je ne le connais pas. Je devine seulement le poids de ses soucis, sa solitude, sa vie de mouette.
Un inconnu comme j'en croise tant d'autres, tous les matins, en prenant le métro. Des inconnus à la tête souvent baissée, hypnotisés par leur IPhone, Ipad, Ipod, leurs pieds.

Parfois je pense, naïve que je suis, oh ! le monde ! relevez la tête, regardons-nous, échangeons.
Ne serait-ce pas un beau pied-de-nez au marasme ambiant, à cette crise qui nous phagocyte, à cette p..... de solitude ?


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