samedi 10 novembre 2012

Ceux que j'aime ont mon âge

Léger rhume, gorge qui gratte, temps de toutou mouillé, de bons prétextes pour passer une partie de mon samedi sous la couette.
Cette semaine, malgré la fébrilité de mon état, ma copine Kaly a eu la bonne idée de me faire la surprise d'un petit dîner improvisé.
Kaly a 43 ans, un accent charmant venu du Nord, la blondeur et les yeux suédois.
20 ans de mariage, un divorce, pas d'enfants ; elle a longtemps vécu à New York avant de s'installer à Paris.
Kaly a de la classe, Kaly est une fille discrète et drôle qui cache bien ses petites fêlures.
On parle de tout et de rien, je lui demande comment va son chéri, si ses parents l'ont accepté.

Car depuis quelques mois, Kaly a un amoureux plus jeune qu'elle. Traduction : il a 15 ans de moins et toutes ses dents ;)
Ses parents sont contre cette relation puisque :
1. son amoureux est plus jeune qu'elle.
2. en plus d'être jeune, il est noir.

Racistes, les parents ?
Je n'en sais rien. Je ne crois pas. Peut-être une volonté farouche de s'approprier la façon dont leur fille devrait être heureuse.

Kaly et moi partageons ce point commun d'avoir des parents qui ont érigé nos hommes en tabou.

Mister G a beau être pleinement dans ma vie, il est devenu le sujet inexistant des déjeuners dominicaux en famille. On parle de tout mais pas de CA.
Quel est l'os dans la moulinette ? Bah, Mister G a 15 ans de plus que moi, quelques fils argentés dans ses cheveux et, c'est indéniable, une myriade de signes d'expression charmants sur son visage. C'est certain, il a vécu plus que moi, que pouvons-nous y faire l'un et l'autre ? Rembobiner la K7 dans le magnéto pour réécrire l'histoire ?
Ces signes du temps n'en font ni un moins que rien, ni un pantouflard ou un grabataire se traînant en charentaises et déambulatoire, mais pour les miens, ils ne pardonnent pas.

Le jour où j'ai sautillé de joie à l'idée de leur faire partager mon nouveau bonheur, sans pour autant vouloir officialiser la chose, je les ai entendu me répondre que :
- ils étaient contre
- ils espéraient que cette relation s'arrête très vite
- Mister G ne foutrait jamais les pieds à la maison, même s'il était sympathique (oui oui, ils l'ont déjà croisé).
- je devais sans doute avoir un problème quelque part pour m'enticher d'un "vieux". (je ne le fais pas exprès, tout va bien pour moi, merci).
- si on avait un enfant ensemble, la progéniture appellerait sans doute Mister G "Papy" à la sortie de l'école.

Elogieux. Il n'était alors question ni de mariage, ni de faire un enfant ni de vivre ensemble. Juste de partager un bonheur tout neuf, après une rupture qui m'avait ébranlée.

Un jour, j'ai entendu un ami de mon père lui glisser tout bas que j'étais sans doute la "poule" de Mister G, qu'il devait m'emmener dans des endroits luxueux et tout m'offrir.
C'était le jour de Noël et je suis restée muette de stupéfaction.
J'ai eu du mal à digérer le repas de fête, pour tout dire je ne l'ai pas digéré du tout.

Kaly et moi avons appris que l'amour, chez certains, revêt un seul et unique visage, ne laissant aucune place à la diversité, la différence, la tolérance.
Un amour qui choque et qui dérange, figé, empaqueté dans des cases toutes faites, en accord avec des codes moraux préconçus.
Pourtant, nous pensions que le bonheur était inattaquable.

Tomber amoureux... Loin est la magie de l'instant, cet état impromptu qui s'empare de nous sans crier gare.

L'âge ou la couleur de peau sont-ils des tares, un frein à des sentiments sincères ? La longévité et le bonheur d'un couple en dépendent-ils ?
Et si nous avions annoncé être tombées amoureuses d'un Arabe, d'un Sumo, d'un unijambiste, d'un juif ou... d'une femme ?
Quelle différence cela peut-il bien faire ?
Je m'interroge.

Dans le très beau et autobiographique "Une année studieuse", Anne Wiazemsky décrit sa relation avec Jean-Luc Godard, de presque 20 ans son aîné. L'histoire se situe à l'aube de mai 68 et dans la famille Wiazemsky, cette relation est odieuse.
En 2012, il semble que les mentalités n'aient pas beaucoup évolué dans certaines chaumières.
Je retiens cette phrase très juste que l'auteur a écrite : ceux que j'aime ont mon âge.

Et dans un éclat de rire, je lance à Kaly : tu imagines si j'avais annoncé à mes parents que Mister G était vieux ET noir ?

Ce soir-là, Mister G était parmi nous. Je l'ai vu rire et sourire malgré les intolérances et les clichés.
Je l'ai regardé, j'ai regardé Kaly, j'ai vu son regard doux azur, rieur, pourtant emprunt d'une tristesse finement dissimulée et j'ai pensé que oui, vraiment, les gens que j'aime ont mon âge.








2 commentaires:

Erzulie a dit…

L'âge n'est qu'un chiffre et ne veut pas dire grand chose. Quant à la couleur c'est juste une histoire de pigmentation de la peau. Peu importe l'âge, le sexe ou la couleur de la peau, l'amour ne se commande pas.

Très bel article !

Anonyme a dit…

Jolie phrase, que j'avais relevée comme toi dans les souvenirs d'Anne Wiazemski, découverts en Poche il y 2-3 ans.
Et ceux qui m'aiment et que je n'aime pas, ils ont tous les âges, même le mien1.